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Vilaine fille
6 décembre 2013

Bibliophile

0084622


    Il avait choisi la médiathèque comme cadre de ma toute première sortie.
Comment n'aurais-je pas été séduite ?
Un bâtiment du XIVème siècle, immense et magnifique, que je fréquentais depuis l'enfance et connaissais par cœur.
Et lui aussi, visiblement. Le fichier de la section « archives » se trouvait au deuxième étage, dans un des recoins les moins fréquentés, sauf par quelques  étudiants en Histoire qui consultaient de vieux grimoires sans jamais lever la tête de leur table.
Il n'aurait pas pu choisir meilleur endroit pour me mettre à l'épreuve sans que je risque d'être dérangée. C'était calme et silencieux comme dans une église.

J'ai traversé la salle qui n'était occupée que par deux étudiants, et par une vieille bibliothécaire assise derrière son bureau, dans le fond.
Le fichier se trouvait dans l'angle opposé et malgré mon cœur battant j'ai obliqué vers lui sans me presser, d'une démarche tranquille, mon sac sous le bras, comme une historienne concentrée et  décontractée.
    Je me suis arrêtée devant le large meuble et j'ai ouvert des tiroirs au hasard, soulevé quelques fiches d'une main tremblante. Je ne voulais pas aller directement à la lettre S. L'instant était important, et je voulais le faire un peu durer. Le basculement était proche, et je pressentais qu'il serait irréversible.
Le processus était déjà bien enclenché, bien sûr. Si j'étais là ce jour-là, nue sous ma jupe sage, c'est que j'avais déjà franchi le seuil de ce monde inconnu qui m'attirait et me fascinait tant, mais la porte était toujours ouverte, et je la tenais encore prudemment d'une main. 
J...K...L...j'approchais lentement, bouleversée par ces émotions qui se bousculaient déjà en moi, et qui dépassaient en intensité tout ce que je connaissais. Avais-je jamais été aussi excitée, et d'une façon si...compliquée ? Fierté, honte, désir, peur, c'était le chaos, mais c'était bon. Mais pas seulement. Et bien sûr ça changeait tout.

Rien n'était joué, pourtant. La voix de la raison s'efforçait encore de me faire faire demi-tour, de me mettre en garde, de crier au ridicule. De me prédire le pire, dans ce tiroir du S. Un ordre obscène et irréalisable, un coussin péteur, un slip sale, que sais-je ? Car après tout je ne le connaissais pas, cet homme. Ce n'était pas parce qu'il m'écrivait des lettres bien tournées que ce n'était pas un porc de base, qui ne cherchait qu'à s'amuser de moi. 
Allons, allons, me disaient toutes les autres voix réunies, est-ce qu'un tel rustre t'aurait emmenée ici d'une si subtile façon ?  En te lançant comme une devinette trop facile une citation du Divin Marquis à situer dans son œuvre, en te laissant gagner, puis en tenant absolument à t'offrir une récompense qu'il te faudrait venir chercher ici, entre les fiches de Philosophie dans un boudoir  et des 120 Journées ?

J'avais peur d'être déçue et j'avais tout autant peur de pas l'être. Peur que le jeu s'arrête, et peur qu'il continue, et qu'il m'emporte.

Mais les dés étaient jetés. Ma récompense était déjà là, qui m'attendait.
Et le temps de savoir si elle me ferait rebrousser chemin ou traverser la frontière était venu.


J'ai ouvert le tiroir. La section réservée aux livres de Sade était au tout début, et une petite enveloppe était là, glissée entre deux fiches. J'ai refermé ma main dessus, en la pliant pour qu'elle y soit dissimulée.
Mon cœur battait à tout rompre. Est-ce que quelqu'un m'avait vue ? Allais-je être accusée de vol de fiche bristol ? Allait-on m'obliger à ouvrir la main, à exposer mon butin, à expliquer toute l'histoire ?  Allais-je mourir de honte ?
Mais non. J'ai jeté un coup d’œil derrière moi et tout était calme. Personne n'avait bougé ni ne faisait attention à moi.
J'ai mis l'enveloppe dans la poche de ma veste et j'ai refermé le tiroir. Puis j'ai quitté la salle en m'efforçant de ne pas marcher trop vite malgré l'impatience qui me brûlait les doigts. A travers le papier, je sentais seulement un petit renflement, peut-être une bague ?

    Il m'avait aussi laissé des instructions pour la suite et j'ai joué le jeu jusqu'au bout, tant qu'à faire. Je ne devais pas ouvrir mon cadeau n'importe où, devant tout le monde. Je devais me rendre dans les toilettes du troisième étage, moins fréquentées que celles du rez-de-chaussée.
J'ai obéi, en découvrant que j'y prenais goût, et saisie d'une sorte de nostalgie à l'idée que ça allait peut-être s'arrêter bientôt. Si le cadeau me décevait. Si la magie cessait d'opérer. S'il ne savait pas trouver les mots pour me donner envie d'aller plus loin.

Il y avait un homme debout devant les pissotières mais le W.C. était libre et je m'y suis enfermée prestement. Mon cœur battait vite, mes mains étaient moites. Et j'avais l'impression que l'enveloppe que je sortais de ma poche, que je dépliais et déchirais faisait un bruit assourdissant. Mais tant pis. Qu'il pense ce qu'il voulait, cet homme de l'autre côté du mur. Je ne pouvais pas attendre davantage.

L'enveloppe contenait une feuille de carnet pliée en deux, deux petits anneaux dorés entrelacés.
Aïe, j'ai pensé. Aucun coussin péteur ni truc affreux pour venir me sauver. S'il continue à me plaire, je suis foutue.

La gorge sèche, j'ai déplié la feuille avec appréhension. Et fol espoir.






Je souris en écrivant ces mots parce que je sais que tu viendras.
Malgré ta honte, malgré ta peur.
Tu viendras parce que c'est plus fort que toi.
Parce que JE suis plus fort que toi.
Et parce que m'obéir te liquéfie de bonheur, petite salope.

Soulève ta jupe.
Écarte les jambes.
Passe ta main sur ta fente rasée de catin soumise.
Pointe tes doigts, va chercher la mouille.
Et lèche.

Ose dire que je me trompe.
 
Je n'aurais pas osé, non. Mes doigts étaient baveux, odorants, poisseux. Comment le savait-il ?


Ohputainputainputain, me disais-je quelques instants plus tard, un pied posé sur le rebord de la cuvette, en me penchant vers mon entrejambe pour clipser les petites créoles dorées sur mes lèvres, selon la suite de ses instructions. C'est de la folie. Arrête ça tout de suite. Pourquoi pas un anneau dans le nez, pendant qu'on y est ?
Mais ça n'a pas stoppé mon geste. C'était trop tard. Le feu se propageait partout.

Je me suis redressée, j'ai rabattu ma jupe.
Puis je suis redescendu,
et j'ai quitté la médiathèque.
La même, en apparence, que celle qui était entrée.
Mais à chaque pas, je sentais la bouleversante différence.
Ça pinçait, ça se frottait, ça ne pouvait plus se faire oublier.
C'était la preuve de ma défaite consentie et exaltante.
La première.
L'irrémédiable.











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Commentaires
V
Benodet56 : Merci. La suite est à venir... Ou pas. Cela dépendra de mon inspiration, qui est capricieuse et inconstante. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Vagant : J'ai découvert votre blog en suivant votre lien, et votre plume agile. <br /> <br /> Votre compliment n'en a que plus de poids, merci pour lui.<br /> <br /> <br /> <br /> (Certaines de mes « aventures » ont été publiées à la Musardine. Vous devriez les trouver en fouillant dans mes archives.)
V
Beau défi bien relaté qui me rappelle de palpitants souvenirs, autant en maitre du jeu que livré au bon vouloir d'une maitresse imaginative. La suite de vos aventures est-elle publiée ?
B
superbe photo et texte brûlant <br /> <br /> je demande à voir davantage..
V
Elle : Merci.<br /> <br /> Oui, c'était un beau défi... tout en douceur mais qui a mis le chaos. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Manioc : Ils serraient fort, je ne craignais rien (ou en tout cas...pas ça). <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Un joueur parisien : Oui, n'est-ce pas ? Le ministère de la culture devrait m'embaucher :)<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Héron, petit pas : Je ne vois pas trop le rapport, ni où serait le problème. <br /> <br /> Et puis des clips ça se retire et se remet, c'est un peu le principe...
H
Des créoles avec du papier absorbant? ça va le faire ?
Vilaine fille
Vilaine fille

"...Fille folle, amante du vent... Boucle ton corset... Baisse bien la tête... Méfie-toi : Qui aime le vent engendre la tempête..."
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