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Vilaine fille
2 décembre 2012

joliment songe

 

2244082

 

Troisième sapin à gauche.
Ou bien était-ce des chênes, des châtaigniers ?
Peu m'importait. Le sentier était là, étroit, à peine visible entre les fougères, les broussailles.
Il avait plu, mes talons aiguilles s'enfonçaient dans le tapis de feuilles et se plantaient dans la terre meuble, les branches lourdes d'eau cinglaient mes jambes que ma minuscule jupe ne protégeait de rien.
Après quelques mètres, mes bas étaient trempés, mes chaussures boueuses, mon humeur furieuse. Génial. Alors que j'avais déniché un hôtel à moins de trente bornes de là avec tout le confort nécessaire. Alors que ça m'avait pris des heures pour trouver ces pompes à la cambrure parfaite. Et que j'avais évidemment refusé la bombe imperméabilisante que la fille avait voulu me vendre avec parce que je n'avais pas imaginé une seule seconde qu'elles fouleraient autre chose que des moquettes épaisses ou des parquets cirés.  
Manquait plus que je tombe sur un sanglier, la fête serait parfaite.
Ou sur un chasseur, tiens. Un bien vicieux et dégénéré, qui me saignerait après m'avoir battue et violée.

Ma colère n'était qu'une feinte, bien sûr. Un leurre qui ne trompait personne.
Au fond de moi ça gambadait, ça sautait les obstacles d'un battement d'ailes, ça tournoyait dans les rayons de soleil. Chaque pas dénudait un peu plus ma peau, faisait tomber les écailles de toutes mes autres identités, m'allégeait de mes masques, de mon armure, de mes mensonges. Le miracle recommençait.  Le Grand Dépouillement. L'unité de temps, de lieu et d'action. L'ici et maintenant, la voix unique, essentielle, primale, la seule qui reste quand toutes les autres se sont tues. Et qui chantait comme un pinson, rugissait comme une lionne, gémissait comme la bête qui a flairé son Maître.


Et de la fumée.
J'ai stoppé net, le cœur soudain broyé entre bonheur et terreur. Qui ne savait plus s'il fallait battre ou pas.
Oh putain.
Il était là, pas loin.
A m'attendre dans les entrailles de cette forêt profonde.
Seul.
Libre.
Dépouillé des vernis hypocrites, lui aussi.
Plus rien pour arrondir ses angles, pour adoucir ses griffes.
Pour retenir sa main, ou l'élan de ses hanches.

Je n'hésitais pas.
Mon immobilité était plutôt recueillement,
l'abandon de mes derniers repères. Le décrochage des derniers filins de sécurité.  
J'avais été prévenue. Je n'arrivais pas les yeux bandés, ignorante des risques que je courrais en empruntant ce sentier. Personne ne me forçait à grimper le volcan et me jeter dedans.
Juste lui et moi.
Le plus beau des Ogres, dans sa cabane de pain d'épices.
Et la forêt autour.  









*

(à suivre)
(titre emprunté à R.H)





 

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Commentaires
V
Manioc : Nous le savons bien, pourtant : il faut toujours garder des bottes en caoutchouc dans le coffre de sa voiture, ça peut toujours servir (et pas seulement pour aller chercher des champignons … : )
M
Ce texte est magnifique, comme bien d'autres, mais il a éveillé en moi un déferlement d'émotions similaires.
M
Combien de fois ai-je entendu "Si tu m'avais dit où on allait, j'aurais mis d'autres chaussures!" :)
Vilaine fille
Vilaine fille

"...Fille folle, amante du vent... Boucle ton corset... Baisse bien la tête... Méfie-toi : Qui aime le vent engendre la tempête..."
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