Noyade
Peut-on mourir de trop de mots coincés là, à l'intérieur ? Occlusion, suffocation, étouffement, est-ce que ça peut finir comme ça ?
En tout cas...c'est pas de la vie. C'est comme une sale maladie, une lente agonie.
Ça fait mal, putain. Le jour, la nuit, jamais ça ne s'apaise.
J'en meurs, je le sais. Bip......bip ..........bip...le cœur s'épuise, l'air se raréfie, le cerveau se nécrose. L'abandon n'est pas loin.
Le renoncement.
La résignation au silence.
Crever, quoi. Puisque je n'ai jamais vécu que pour écrire.
Parfois la tentation est forte, presque irrésistible. Laisse tomber, je me dis. Profite de ce qui te reste de temps, débranche le clavier, oublie. Tant pis. Les mots finiront par se diluer, par s'évaporer, tu seras légère comme un ballon vide. Tu rentreras dans la ronde, au lieu de souffrir toute seule dans ton coin comme une conne, à prendre de notes inutiles, à chercher sans cesse les bonnes couleurs, les justes nuances d'un tableau à peindre, d'un témoignage à laisser, d'une voix à faire entendre dans l'assourdissant chaos du monde.
Oui mais non. Ce n'est pas si facile, de se couper les mains pour se libérer. De trancher dans le vif pour quoi ? un semblant de vie, avec des moignons muets ?
Non.
Je préfère encore souffrir, être lourde, grosse de cette marmaille de mots à naître nichée dans mes entrailles et qui me pompe le sang...
C'est peut-être normal que ça fasse si mal.
C'est peut-être les douleurs qui annoncent l'accouchement ?
Peut-être qu'il faut que je me résigne à la séparation, comme pour mes « vrais » enfants, que j'aurais voulu garder pour toujours à l'abri, dans la chaleur de mon ventre ?
Ou alors... c'est mon côté maso.
Qui m'empêche d'écrire, et qui m'empêche d'arrêter d'écrire ?
Autopunition, puisque personne ne s'y colle ?
Ou alors, c'est juste de la lâcheté,
la frousse de froisser...
La terreur de la vérité ?
Rien à raconter qui ne soit pas sans risque.
Rien qui ne puisse me faire perdre le peu que j'ai encore.
Si je montre mes faiblesses,
ma solitude,
mes enchantements,
mes colères,
mes sentiments,
m'aimera-t-on encore ?
Même si je râle, doute, soupire, me révolte ?
Même insoumise ?
M'en fous.
Il faut que je m'en foute,
je DOIS m'en foutre.
Question de survie.
Tous ces mots tus me tuent.
Et tout ce qui n'est pas donné est perdu.
Alors banzaï, moussaillonne. Ôte tes moufles,
raffermis ton regard idiot de biche aux abois,
et cesse de geindre, bordel.
Tu n'es pas ça, cette pauvre chose coincée et apeurée qui n'ose pas lever le doigt, ouvrir la bouche, brandir le poing.
Tu n'es pas cette chose molle et passive qui n'existe pas quand Il ne te regarde pas.
Et qui se tait, qui se terre,
en attente d'on ne sait quoi, on ne sait qui,
un miracle, une assurance tous risques, un coup de pied au cul,
un formulaire d'autorisation de délirer ?
Allez, zou, sors de ton trou.
Secoue tes plumes, redresse-toi,
souris.
L'hiver est fini.