(you) fly me to the moon
Y a des semaines, comme ça, où tout vous sourit. D'un coup c'est Noël, ta fête, ton anniversaire, le printemps, le quatorze juillet, des cadeaux que tu n'avais même pas espérés tombent du ciel sans que tu saches pourquoi. Une conjonction astrale particulière, un tirage au sort, une erreur qu'aurait fait le bon dieu dans ses fiches ? Peu importe. Comptez pas sur moi pour la signaler. Trop tard. Le premier qui s'approche pour m'en reprendre une miette je le mords. C'est à moi pour toujours, enfermé dans mon coffre fort, ma malle au trésor inviolable et insaisissable. Même la mort s'y cassera les dents, tu verras. Ce sont ces instants-là qu'on emportera. Ces petits riens qui changent tout, ces poussières d'étoiles, ces émotions délicates et sublimes comme les trilles d'un rossignol.
Quatre lettres dans un mail. Un ma devant mon prénom, un ta devant le sien. Comme avant. Quand je ne savais pas combien c'était précieux. Quand je n'avais pas encore reconnu le bonheur d'être son amie au bruit qu'il a fait en claquant la porte.
Quatre petites lettres, comme des pépites d'or et d'espoir.
Un message dans la nuit. Alors qu'il est occupé au bout du monde et que je n'attendais rien. Une pensée plus douce qu'une caresse, plus chaude et bouleversante qu'un baiser.
Une main qui se tend, qui partage, qui donne. Sans chichi, sans leçon, sans intérêt. Un ange gardien au rire de petite fille, qui secoue sa frange et allume sa clope en bougonnant qu'il n'y a rien à dire, c'est comme ça et c'est tout, pas de quoi en faire tout un cinéma, tu as vu comme il fait beau ?
Une photo, un peu floue et mal cadrée. Des silhouettes sous la neige, un feu rouge qui scintille, un arbre nu sur un bout de trottoir. C'était en été mais comment s'y tromper ? C'est la même rue, la même façade. La devanture du bar n'a pas changé.
Et derrière l'objectif, c'est Lui, son œil dans le viseur, son index sur le déclencheur. Figé quelques instants dans une ville en mouvement pour capturer cette image-là et me l'offrir.
Sans légende, pour quoi faire ? Tout est dit dans cette photo, il sait que je le sais. Ou au moins l'essentiel. Il n'oublie pas, il le pense aussi. Quelque chose s'est joué là, qui a bouleversé nos vies. Et qui nous touche toujours.
Un présent et un pluriel sans prix.
Un inconnu qui fleurette un peu. Et pas le plus laid, pas un ancêtre, pas un affamé.
Tu regardes par dessus ton épaule mais non, c'est bien à toi qu'il s'adresse.
Il s'en va, tu souris. Un peu moins Shrek, un peu moins sévère et méprisante avec celle que tu es devenue. Ou croyais être. Tu ne sais plus. Le doute s'insinue. C'est bon.
Mon bel amour qui me laisse soupirer comme une âme en peine, tourner en rond devant la bibliothèque comme une toxico qui traque sans conviction un produit de substitution, puis qui sort soudain de son chapeau de magicien un petit sac de la Fnac. Je tombe en arrêt, les mains sur le cœur, n'osant y croire. Et pourtant si, il est bien là. Le tome III. Avec Tyron, Arya et Jon Snow dedans. Un gros pavé de plaisir compressé qu'il a trimbalé pour moi depuis Paris, planqué dans sa valise, gardé au secret tel Don Diego de la Véga cachant son masque de Zorro jusqu'à ce que l'héroïne soit en danger, désespérée, une épée sous la gorge, avec plus rien à lire.
Les nuages vont revenir, je le sais bien. Et le froid et la nuit. Les doutes, le manque, le sentiment de solitude et d'insignifiance, Shrek dans le miroir.
Mais pas tout à fait pareil,
pas obligé.
Si j'écoute Kalihl, pour une fois.
Si je m'en fais des ailes au lieu d'un poids, de cette gratitude que j'éprouve.
Si je leur donne raison, pour une fois, à ces quelques si beaux humains qui ne me détestent pas, pour lesquels je ne suis pas rien, et qui me le prouvent, encore et toujours, malgré tout, malgré le peu que je leur offre, malgré mon obstination à m'abîmer et à tout faire pour tenter de les convaincre qu'ils se trompent.
Si je garde vibrant et ne laisse pas s'éteindre, là, tout au fond de moi, le chant du rossignol.