Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Vilaine fille
15 décembre 2012

ni dieu ni maître

 

94594

C'était un réduit d'un mètre carré, caché entre cuisine et cellier, et fermé par une porte grillagée dans sa partie supérieure. Une sorte de niche basse sans doute destinée à l'origine à la réserve de bois sec ou de charbon, et qui avait été nettoyée et tapissée de moquette.

- Vous plaisantez ?
Il a levé un sourcil en gardant son air sérieux et j'ai compris que non. Il avait VRAIMENT l'intention de m'enfermer là-dedans. Et pas plus tard ni tout à l'heure ni un jour prochain. Il tenait la porte ouverte et attendait visiblement que je me baisse et y pénètre immédiatement.
Je l'ai regardé. Il m'a regardée. Je l'ai regardé. Il m'a regardée. Bref le temps s'est arrêté.

Impossible, je me disais. Jamais. Je suis claustrophobe . C'est un coup à devenir folle. Même pas une heure. Même pas en rêve.
Ses yeux ont noirci.  
Je suis entrée.


Une heure plus tard – ou étaient-ce dix minutes ? - j'étais devenue une bête sauvage. Une louve piégée. Un aigle mis en cage. Un thon pris dans le filet.
Manquant d'air, le nez collé au grillage, les genoux déjà râpés par la moquette rêche.
Refusant de croire à la réalité de son départ pour ce dîner avec ses amis, auquel je n'aurais jamais pensé ne pas participer. Quand il m'en avait parlé j'avais même été flattée, m'imaginant déjà amante officialisée,  réfléchissant à la tenue que j'allais porter, soucieuse de lui faire honneur.
Mais la maison était silencieuse.
Aucune lumière n'y brillait.
Et la porte d'entrée qui avait claqué ne s'était pas rouverte.
Il était bel et bien parti sans moi.

Une volée de bois vert (ou de bambou noir) ne m'aurait pas fait plus mal.
J'en avais le souffle coupé, la gorge prise en étau. Des larmes plein les yeux.
Et le ventre comme en feu.
J'ai lâché la grille et je me suis assise, les jambes serrées entre mes bras.
J'avais envie de hurler, de me cogner aux murs, d'arracher la porte, je me cramponnais à moi-même pour m'en empêcher.
Calme-toi, je me disais. Respire.
J'ai fermé les yeux, le front sur les genoux.
Bouleversée.
Affolée.
Perdue.

Nulle révolte, pourtant, dans le chaos qui m'habitait.
Le sentiment au contraire de recevoir enfin la monnaie de ma pièce.
D'être, pour la première fois, réellement prise aux mots.
Dépossédée de ma liberté, mon plus précieux trésor imprudemment mis en jeu, négligemment posé sur le tapis pour me rendre intéressante, pour corser la partie, persuadée que j'étais qu'Il n'en ferait pas usage, qu'il ferait comme les autres, qu'il se contenterait de s'amuser avec quelques jetons.
Perdu.


J'avais l'impression que l'espace se resserrait, que l'air se raréfiait.
Le besoin de me redresser, de déplier mes jambes était presque douloureux.
Il fallait que je me calme sinon j'allais craquer.
Je n'étais pas une bête. Je savais qu'il allait revenir et me libérer.
Je savais pourquoi j'étais là.
Tout était de ma faute.
J'étais à Lui, c'est moi qui l'avait dit, revendiqué, affirmé. Qui m'en étais vantée, comme pour le défier. Comme un « même pas chiche » insolemment lancé.
Ah ah.
Pauvre folle inconsciente. Trop habituée aux petits joueurs tièdes pour mesurer le risque d'affronter celui-ci. Trop sûre de tout connaître des hommes pour imaginer que l'un d'entre eux puisse serrer le collet et s'amuser de sa proie comme il l'entend, lui. Pas comme ça lui ferait plaisir à elle. Ni dans un doux compromis des deux.

Il m'avait eue, bien profond.
Tranquillement, sans bouger de chez lui. Avec les armes que je lui avais moi-même fournies.
Tout était écrit. Il n'avait pas triché, n'avait rien inventé. Il possédait mille preuves, mille envolées lyriques sur ma soumission, mon abdication de tout pouvoir, mon désir de ne servir qu'à Son plaisir.  
Il ne faisait que prendre son dû.
Sans tambour ni trompette, sans avoir besoin de spectateurs pour applaudir sa performance, sans jolie musique pour solenniser la cérémonie, sans costume de scène.
Juste en me reléguant là, dans ce cachot sombre et exigu dont il était  le seul à connaître l'existence et à posséder les clefs.


J'avais froid et soif.
Et une féroce envie de pisser, à laquelle je m'efforçais de ne pas penser. Ce qui avait bien sûr l'effet inverse.
Mais autre chose, aussi, me brûlait le ventre.
Une balle de feu irradiait là, sous mon plexus.
Une sorte d'exaltation, de terrible excitation.
La conviction d'être tenue par une main qui ne céderait rien, le sentiment terrifiant et jouissif  d'être face à mille fois plus fort et plus fou que moi.
Il ne se donnait aucun titre, il ne jouait aucun rôle. Il n'endossait aucune responsabilité. Il se moquait des codes, des règles, des majuscules.
Il n'exigeait rien de moi.
Rien d'autre que mon corps à disposition quand il claquait des doigts.
Rien de plus que ce que j'avais déposé à ses pieds pour le séduire, pour me vendre.



Quand il est revenu, un geste a suffit.
Les mots étaient désormais superflus.
Et les cordes, et les badines.

Et de se demander pourquoi je lui appartenais.







Publicité
Publicité
Commentaires
V
Séverine, Brigit : Rassurez-vous, ce texte est une fiction, née d'une seule « intention », qui m'a été confiée, et que j'ai tenté de vivre en imagination. <br /> <br /> L'enfermement est une épreuve que je redoute et qui m'effraie, mais ce n'est pas un tabou, je conçois qu'on puisse un jour me l'imposer. <br /> <br /> Et non pas pour me « briser », mais pour me faire toucher la réalité de ce que suis, quand je me place en position de soumission : captive de la volonté de cet Autre que j'ai choisi pour maître.<br /> <br /> Et si son plaisir est de me boucler dans un réduit... il faudra que je le supporte. Que je plie. Que je « paie » par cet inconfort et cette souffrance le bonheur de Lui appartenir. <br /> <br /> Que j'éprouve dans ma chair ce que les mots signifient. <br /> <br /> <br /> <br /> Quant à rester seule et encagée pendant qu'Il part dîner en ville, c'est vrai que c'est un peu risqué et exagéré. <br /> <br /> Un dîner à l'étage aurait suffit pour la leçon d'humilité.
B
Stupide, totalement dangereux car effectivement, s'il était arrivé quoique ce soit à cette personne ou s'il s'était passé quelque chose dans la maison (feu, inondation), que seriez-vous devenue ? donc soit il vous a pipeauté et il est resté jusqu'à ce que vous soyez brisée (il n'y a pas d'autre mot) soit il est parti et c'est une personne à fuir absolument. Aucun dominant responsable ne ferait cela. Lorsque l'on fait cela, c'est toujours dans un environnement extrêmement contrôlé et sans JAMAIS laisser la personne seule. <br /> <br /> J'espère que vous êtes assez lucide pour vous être rendue compte depuis du risque insensé qu'il a pris et vous a fait courir. <br /> <br /> Maintenant, s'il était présent mais ne vous en a pas informé a posteriori, ça n'a aucun intérêt comme "jeu"... <br /> <br /> Lire ça me met en colère car c'est totalement contraire à l'esprit d'un BDSM SSC, sécurisé, sain, consensuel.
S
Je découvre votre blog et ce très beau texte à la résonance trouble... à l'heure où d'un clic tremblant, après avoir séduit " de mille envolées lyriques" j'assurais à celui que je vais bientôt rencontrer, la confiance absolue que j'avais en lui et lui confirmais " mon libre et assumé choix d'être sienne", un sournois doute s'instille...Est-ce bien raisonnable?<br /> <br /> Me réjouis de me plonger dans vos archives, merci (malgré tout...)pour ce beau texte
V
S : Merci, vraiment. <br /> <br /> <br /> <br /> Vincent : Un balcon, en hiver, ça doit aussi pouvoir être très « pédagogique »...<br /> <br /> <br /> <br /> Comme une Image : Mais c'est horrible, comme scénario ! <br /> <br /> Moi dans le pire j'avais « seulement » pensé aux araignées. <br /> <br /> <br /> <br /> Merci. Grâce à vous, si ça m'arrive encore, j'aurais de quoi vraiment angoisser.<br /> <br /> : )<br /> <br /> <br /> <br /> Manioc : Sourire. <br /> <br /> C'est vrai que ta maison et les nombreuses dépendances dans ton jardin sont pleins de petits recoins qui pourraient donner des idées à des mal-intentionnés...
M
Je ne passerai plus devant mon ex-poulailler aux poutres branlantes sans penser à ce billet :)
Vilaine fille
Vilaine fille

"...Fille folle, amante du vent... Boucle ton corset... Baisse bien la tête... Méfie-toi : Qui aime le vent engendre la tempête..."
Voir le profil de vilaine fille sur le portail Canalblog

Publicité
Newsletter
Publicité